Читать онлайн
"Mémoires d'Aramis, tome 10"
Chapitre 403
«Alors, duchesse, vous avez prévu de placer un imposteur sur le trône», dis-je. - Profitant du fait que vous connaissez le secret de l'existence d'une personne extrêmement semblable à Sa Majesté, vous avez planifié une substitution. C’est un crime d’État. Cela ne vous dérange-t-il pas de penser à ce à quoi vous pourriez faire face pour ce que vous avez fait?
- L'imposteur est assis sur le trône, et derrière cette porte se trouve le vrai roi de France! — répondit la duchesse.
— Tu le sais avec certitude? - J'ai demandé. — Par quels signes as-tu distingué le vrai Roi du faux? Juste en lui parlant?
- Il était prêt à jurer sur la Bible à ce sujet! — s'exclama la duchesse.
- Prêt, mais tu n'as pas juré? — J'ai objecté. - Et tu parles de cela en présence de ton Roi! Votre Majesté, pardonnez-moi mon insolence. Veuillez confirmer votre droit légitime à régner sur ce livre.
J'ai montré le livre à la duchesse. La riche couverture en cuir était décorée d'une croix catholique gravée en or.
«Duchesse, par respect pour la mémoire de ma défunte mère la reine, je vous prie de m'écouter attentivement, dit Philippe en posant la main sur le livre. — Devant Dieu, je vous assure de mon droit à occuper le trône du roi de France. Je jure devant Dieu que Louis est mon nom, qui m'a été donné à la naissance. Devant la face du Seigneur, je vous assure que la place que j'occupe m'appartient de droit, selon toutes les lois, humaines et divines.
— Êtes-vous satisfait? — J'ai demandé à la duchesse.
— Est-ce que j’avais tort? — murmura la duchesse.
« Oui, Duchesse, vous vous êtes trompée, et je dois corriger votre erreur », répondis-je.
La duchesse était dans un état très perplexe, au bord du choc. Soudain, son visage s'éclaira.
— Montre-moi ce livre! — a-t-elle exigé. - J'ai compris! Ce n'est pas la Bible! C'est une sorte de livre jésuite que tu as écrit! Une sorte d’ensemble de lois et de règles de l’Ordre, n’est-ce pas?
Je me suis approché de la table, j'ai pris un livre et je l'ai remis à la duchesse. Elle a failli me l'arracher des mains et l'a immédiatement ouvert au hasard. Puis elle se mit à le feuilleter fiévreusement, et finit par jeter un coup d'œil à la première page. C'était la Bible.
«Duchesse, vous avez encore une fois emprunté le chemin glissant de l'aventure », dit Philippe. - Mais je ne te blâme pas. Vous avez été trompé. Vous serez pardonné, mais vous devez participer activement à arrêter la tentative de coup d’État. Faites signe à celui qui attend derrière la porte d'entrer par ces portes, puis attendez-le derrière les portes, mais n'allez nulle part, restez avec Hubert.
— Tu as tout compris? - J'ai demandé.
« Je comprends tout, Votre Majesté», dit la duchesse, tournant ostensiblement son visage et s’adressant non pas à moi, mais à Philippe.
Elle est sortie et a appelé Louis. Dès qu'il est entré dans le bureau, elle s'est glissée derrière son dos et s'est enfuie.
«Ce n’est pas grave, Hubert a été prévenu qu’il devait laisser entrer tout le monde aujourd’hui et ne laisser sortir personne », ai-je pensé. « Il est excellent que j’aie ordonné que dix mousquetaires de d’Artagnan, commandés par le lieutenant d’Arlencourt, soient postés dans la pièce voisine.»
Louis, qui s'attendait à voir Philippe seul dans le cabinet, le visage défiguré, ou même poignardé, fut très surpris de le trouver sain et sauf, joyeux et en ma compagnie.
- Qu'est-ce que ça veut dire? — demanda-t-il.
« ela veut dire, cher frère, que tu as encore perdu», répondit Philippe. «J'ai déjà réprimandé M. d'Herblay d'être trop scrupuleux, lui et le capitaine d'Artagnan. Imaginez, ils considèrent contraire à l’éthique de garder le petit-fils d’Henri IV en prison! Mazarin ne le pensait pas, Richelieu encore moins, et le capitaine d'Artagnan est du même avis que notre cher ami d'Herblay, c'est-à-dire, pardon, le duc d'Alameda. Tout cela a été fait dans mon dos et en violation de mes instructions! Si mon ordre avait été exécuté à la lettre, cette rencontre pas très agréable pour vous et moi n'aurait pas eu lieu. Vous résideriez tranquillement et paisiblement dans la cellule confortable de la forteresse de Pignerol, qui m'était destinée, et je n'aurais aucune raison de me souvenir de vous. Ouais, bon sang, les meilleurs officiers, malheureusement, sont ceux qui ont un cerveau! Et les officiers intelligents préfèrent parfois désobéir. Quel dommage! Il n’y a pas de perfection dans le monde. Vous avez vous-même eu l’occasion de le constater par vous-même. Quoi qu'il en soit, d'Artagnan est le capitaine idéal des mousquetaires du roi, mais, comme vous pouvez le constater, plus une personne est proche du trône, plus elle est encline à conspirer. Vous l'aurez peut-être remarqué en lisant l'histoire de notre mère et de son amie, la duchesse de Chevreuse, qui vient de quitter cette pièce. Elle est également déjà passée de mon côté, tu as remarqué? Au lieu de te conseiller de te cacher, elle t'a invité ici, sachant très bien que je n'étais pas seule, mais avec un homme qui ne clignerait pas des yeux et n'utiliserait pas son arme contre toi si nécessaire. Et c'est un excellent utilisateur d'armes, je vous l'assure. N'importe lequel. Et, au fait, le stylet de la duchesse est aussi le sien, la duchesse a été si gentille qu'elle le lui a donné sans aucune résistance inutile dans cette situation. Oui, frère, nos sujets, comme vous le voyez, nous trompent quelquefois, et même les plus hauts d'entre eux, ceux en qui nous croyons comme nous-mêmes. Mais j'ai déjà pardonné à tous deux, au capitaine d'Artagnan et au duc d'Alameda. Leur seul défaut était leur respect excessif pour notre rang de Princes du Sang. Il n’y a pas lieu de s’en offusquer, car c’est la structure de soutien de notre monarchie! D'Alameda, si vous en avez l'occasion, dites au capitaine d'Artagnan que je ne lui en veux pas d'avoir placé mon frère non pas à Pignerol, mais dans un monastère. Après tout, il croyait à tort que ces rayures noires sur son visage ne disparaîtraient jamais. Et c’est ainsi que cela s’est passé : au fil du temps, ils ont complètement disparu!
«Tu vas encore commettre des violences contre moi », dit calmement Louis. - Je ne suis pas surpris. Je n’ai pas réussi à récupérer ce qui me revient de droit, mais je ne renoncerai pas à mes droits. Où que tu me caches, je vivrai avec l’idée de m’échapper, et le Seigneur m’entendra. Un jour, je viendrai ici avec mon peuple fidèle et je vous chasserai d'ici.
«Comme tu le dis, frère », répondit Philippe. - Cela ne me dérange pas. Chaque personne a le droit de ne pas abandonner et de ne pas perdre espoir. C’est la seule chose qui m’a soutenu tout au long de ma vie, à l’exception de ces derniers mois. Vous reviendrez simplement à l’état que j’ai défini pour vous.
- Pourquoi penses-tu avoir le droit de décider de mon sort? — demanda Louis. « Je suis votre roi légitime et vous n’êtes qu’un imposteur. Vous allez à l’encontre des lois des hommes et de Dieu!
«Si Dieu m’a envoyé de la chance, alors c’était sa décision », répondit Philippe. - Cependant, j'accepte de tester le destin une fois de plus. Regardez ce tableau. Vous voyez ces deux livres? Ils ont exactement les mêmes couvertures. La différence réside dans les détails. J’ai déjà appris à les distinguer l’un de l’autre par de petits traits presque indiscernables. L'un de ces livres est la Bible, l'autre est un livre que le duc d'Alameda, alors qu'il était encore évêque de Vannes, ordonna de placer exactement dans la même reliure afin de pouvoir l'emporter avec lui lors de longs voyages ; cela l'aida à Passez le temps sur la route. Vous voyez, il ne voulait pas que les spectateurs connaissent ses goûts littéraires à partir de la couverture de ce livre. Le duc m'a donné ces deux livres il y a une semaine, et je trouve le deuxième livre plus divertissant, bien que certainement moins saint, si je peux me permettre de lui appliquer une telle épithète. Il y a quelques minutes, ces deux livres sont devenus historiques. Je posai la main sur l'une d'elles, et la duchesse de Chevreuse retourna l'autre avec beaucoup de précaution. Alors, je propose un pari. Si vous devinez lequel des deux livres est la Bible, vous prendrez le trône de France, et je me retirerai à Pignerol. Mais si vous ne le devinez pas, alors je vous demande d’admettre que le Seigneur est de mon côté. Je vous demande seulement de ne pas garder de colère dans votre cœur envers ces gens qui ont disposé de notre destin comme ils l’ont fait. Vous pouvez me détester, je m'en fiche, car je sais que ma culpabilité devant quiconque est seulement d'avoir eu l'audace d'apparaître dans ce monde, malgré le fait que pas une seule personne sur cette terre pécheresse n'avait besoin de moi, et était même indésirable à tous, y compris à mon père, à ma bonne mère, à mon bon frère, à ce moment-là aussi déraisonnable que je l'étais moi-même. Alors, parie! Indiquez la Bible parmi ces deux livres, et si votre choix est correct, je reconnaîtrai votre victoire!
Louis regarda attentivement les deux livres posés sur la table devant lui. Tous deux étaient reliés dans un cuir coûteux. La couverture présentait une croix catholique gravée en or. Les livres avaient la même épaisseur et, même en termes de fréquence de lecture, ils ne différaient pas les uns des autres.
«La Bible est à sa droite », pensait Philippe. - Pourtant, il aurait pu le mettre volontairement à gauche! Seigneur, donne-moi un signe!
Louis s'attendait probablement à ce qu'un papillon vole par la fenêtre et se pose sur la Bible, ou à ce que le vent enlève la couverture, ou peut-être à ce que le feu céleste brûle le livre méchant qui osait ressembler à la Bible dans sa reliure. Mais rien ne s'est produit.
- Ce! — dit finalement Louis en mettant sa main sur l'un des livres et en le tirant vers lui.
« Tu te trompes, mon frère », répondit Philippe. — La Bible est celle qui reste avec moi. Jetez un oeil!
Philippe ouvrit le livre et Louis fut convaincu que le livre n’était rien d’autre que la Bible.
- Qu'est-ce que j'ai alors? — demanda-t-il.
«Un livre très intéressant, mon frère », répondit Philippe. — Le duc d’Alameda me l’a donné, et je vous le donne. Elle égayera votre solitude à Pignerol. Le temps passe vite en lisant ce livre, croyez-moi! Vous me serez reconnaissant pour ce cadeau.
Louis ouvrit le livre à la première page et lut avec surprise : «Mémoires de messire Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme, contenant la vie des hommes célèbres et des grands commandants étrangers, une biographie complète des dames galantes du temps de la reine Marguerite de Navarre, les aventures amoureuses de Mademoiselle de Sommrange, et aussi Mademoiselle Mustelle et ses amies"
«Tu vois que le destin est de mon côté », continua Philippe. - Accepte-le simplement. Mettez ce masque, les mousquetaires ne devraient pas voir votre visage.
Comme le véritable masque de fer se trouvait à cette époque à Pignerol, Philippe n'offrit à Louis qu'un masque en tissu gris, mais il était assez épais et multicouche, de sorte que les traits du visage en dessous étaient impossibles à reconnaître.
Je pris à ma ceinture le stylet que j'avais pris à la duchesse de Chevreuse et j'en essayai la pointe avec mon doigt. Je n'avais pas l'intention de menacer Louis, mais dans certains cas, un mot gentil et une démonstration d'armes sont plus convaincants qu'un mot gentil seul. Louis remarqua mon geste et mit docilement son masque. Philippe a sonné. Le lieutenant d'Arlencourt et dix de ses mousquetaires entrèrent par la porte.
«Conduisez immédiatement ce prisonnier à Pignerol », dit Philippe. — Dans une voiture aux fenêtres fermées. L'ordre de son arrestation est entre les mains du duc d'Alameda, qui voyagera avec lui dans la voiture. Aucune conversation avec le prisonnier en chemin. Et rappelez-vous, Lieutenant, cet homme doit être livré à Pignerol et non ailleurs.
Avec ces mots, il me regarda attentivement. J'ai hoché la tête.
«Allez, le duc vous rejoindra dans dix minutes », dit Philippe.
L'homme arrêté a été emmené et Philip et moi sommes restés seuls à nouveau.
- Tout s'est passé exactement comme tu l'avais prévu, Duc! — dit Philippe. — Comment avez-vous réussi à prévoir tout cela à l’avance?
«Je n’ai pas tout prévu, mes gens m’ont simplement dit certaines choses », ai-je répondu. « Soyez sûr que je l’emmènerai à Pignerol, et non dans un autre monastère. »
«Vous savez, duc, quoique j'aie mis la main non sur la Bible, mais sur les mémoires de Brantôme, j'étais pris de timidité, et je n'ai pas osé prêter un faux serment. Tout ce que j’ai dit était la pure vérité!
— Comme si? — J'ai demandé, incrédule. - Ça ne me semblait pas comme ça!
«Je me souviens parfaitement de ce que j’ai dit », répondit Philippe. — J’ai dit : « Devant Dieu, je vous assure de mon droit à occuper le trône du roi de France. N'ai-je pas un droit, aussi légitime que celui de mon frère, à ce trône? Nos droits de naissance sont complètement identiques! Alors j’ai dit : « Devant la face de Dieu, je jure que Louis est mon nom, qui m’a été donné à la naissance. » On m'appelait Louis-Philippe. Alors Louis, Ludovic c'est mon prénom. J'ai dit : « En présence du Seigneur, je vous assure que la place que j'occupe m'appartient de droit, selon toutes les lois, humaines et divines. » Je le pense vraiment.
«Je suis entièrement d’accord avec vous sur tous les points », ai-je dit. — J’ai juste oublié que tu t’appelles aussi Louis! Il est évident que la duchesse de Chevreuse n'en avait pas tenu compte non plus. Heureusement que tu n'as pas dit que tu étais Louis XIV, car si tu étais monté sur le trône après lui, tu aurais dû t'appeler Louis XV.
«Mais je n’ai pas pris le trône après lui, mais à sa place », objecta Philippe. — Selon les lois humaines, les frères jumeaux sont comme une personne sur deux! Je suis donc toujours le même Louis XIV.
«Amen», dis-je en interrompant Philip.
C'est-à-dire Louis-Philippe, car c'était son nom complet!
.